A l’image de ce tableau allégorique de Herb Kane
(image centrale ci-dessus), le «Maître-Navigateur» représentaient
beaucoup pour les sociétés du Pacifique ancien.
Il
était celui sur les épaules duquel reposait la survie de tous, une
fois en mer.
Véritable
équivalant de l’ «Ariki» (le Roi, le Chef) à terre, tous se
soumettaient à son autorité, une fois le pied posé sur la pirogue
de voyage.
Car
seul lui peut retrouver son chemin au milieu du vaste Océan. Seul
lui maîtrise les techniques d’orientation, de navigation, mais
aussi de survie en milieu marin.
Son
rôle est différent du traditionnel «capitaine» ou «skipper» -
qui est d’ailleurs placé sous ses ordres.
Son
savoir s’étend souvent des techniques de construction des pirogues
océaniques, aux techniques de navigation, jusqu’aux techniques de
pêche ou de conservation des aliments en mer.
Pour
ce qui est des techniques de Navigation pures, le «Maître-Navigateur
s’appuie sur les éléments suivants :
1. Les étoiles : leur course dans le ciel - de leur levé à leur couché - définissent le cap à conserver.
La
plus grosse des étoiles, le Soleil, fourni de jour les mêmes
précieuses informations que les étoiles nocturnes.
Dessin représentant schématiquement un pirogue traditionnelle polynésienne suivant «l’hameçon de Maui», qui lui donnera sa route jusqu’à Hawaii, laissant à sa droite et avant la Croix du Sud, et à sa gauche en arrière l’Etoile Polaire.
«Compas d’étoiles» : représentation moderne : les points cardinaux magnétiques y sont retrouvés, en face des points de levé des étoiles (avec leur nom polynésiens) leur correspondant
Mau Piailug, le grand Maître-Navigateur Micronésien
qui guida la pirogue Hokule’a de Hawaii à Tahiti en 1976,
enseignant à son fils la navigation astronomique à l’aide d’un
«compas d’étoiles» en coquillages et coraux.
le Maître-navigateur Hawaiien Nainoa Thompson enseignant la navigation aux étoiles à des étudiants. Il utilise ici un morceau de bois et sa propre main pour faciliter les mesures «horizon-soleil», par exemple.
Une «carte des courants» micronésienne : cet entrelacs de brindilles reproduit les courants dominants sur une zone géographique donnée.
2. Les vents et les courants : Les Maîtres-Navigateurs se familiarisent d’abord avec les vents et courants de leur région (groupe d’îles), puis ils commencent à étudier, en fonction des besoins de la communauté, les tendances des vents et courants sur de plus grandes distances.
Cette
partie des savoirs des Maîtres Navigateurs est assez complexe, et
les meilleurs d’entre-eux, rien qu’en s’asseyant à bord d’une
pirogue, peuvent distinguer/sentir 5 ou 6 courants différents
s’entremêlant pour composer une houle.
Cette
connaissance des vents et courants prend le relais de la navigation
nocturne aux étoiles : pendant la nuit, le Maître-Navigateur repère
le sens des courant-vents dominants qui lui permettront de continuer
à barrer dans une direction choisie malgré que les étoiles ne s
auront plus visibles.
Cette
navigations aux vents et aux courants sera également précieuse en
cas de temps couvert.
La houle réfléchie est un indice précieux de la présence proche d’une terre pour un Maître-Navigateur.
3.
Les oiseaux et autres animaux : le vol des oiseaux terrestre
pêchant en mer est un sérieux indice de la présence d’une terre.
A
titre indicatif, un Fou de Bassan peut-être observé à 75 km d’une
île, un Sterne à 35-45 km, et un Noddi à 20-30 km maximum. Ces
oiseaux rentrant à terre le soir, ils donnent une bonne indication
de direction et de sens à suivre pour trouver une île en «approche
finale».
Les migrations saisonnières des mammifères marins peuvent également servir d'indicateur d'une direction recherchée.
Les migrations saisonnières des mammifères marins peuvent également servir d'indicateur d'une direction recherchée.
Mais
d’autre animaux peuvent servir d’indices aux Maîtres-Navigateurs.
Bien que l’efficacité et l’utilisation de ces indices ne soient
pas réellement prouvés, les légendes polynésiennes ne cessent de
parler de «Dieu-Requins» qui mènent les Navigateurs jusqu’à une
île (plausible, puisque certains requins venant du large
s’approchent des récifs la nuit pour y chasser), ou de
Maître-Navigateurs suivant les migrations des baleines...
Les anciens polynésiens utilisaient des feuilles
de végétation ou des «flammes» de plumes d’oiseaux pour
connaître la direction du vent.
Les
Maître-Navigateurs faisaient aussi parfois poser de grosses noix de
coco trouées au sommet des mats : en fonction de la direction du
vent, la noix trouée «jouait» une note différente, permettant
ainsi de connaître le sens du vent...
D’autres indices peuvent être utilisés par les Maître-Navigateurs comme l’état de décomposition de débris côtiers flottant à la surface (végétation : noix de coco, feuilles de palmier, etc...), ou encore du degré de salinité de l’eau de mer, à l’instar de cette peinture d’Herb Kane, montrant un vieux Navigateur aveugle testant le sens des courants et la salinité de l’eau.
4.
Les Maîtres-Navigateurs du Pacifique ancien détenaient-ils
un statut de type «chamanique» ?
La
question reste ouverte, et devrait, à notre sens, mériter plus
d’attention et d’études.
Plusieurs
éléments vont dans ce sens :
.
Tout d’abord le mythe largement répandu dans le Pacifique du
demi-dieu Maui Marumanao, le «pêcheur d’île : la légende veut
que Maui, perdu en mer, se mît à lancer une ligne avec un hameçon,
puis, «tomba dans un sommeil profond».
Alors
qu’il se réveillait, il tira sur sa ligne et pêcha une île sur
laquelle il pu accoster.
On
a ici la description claire de du demi-dieu Maui comme
Maître-Navigateur, à la recherche d’une terre.
Le
fait de «tomber dans un sommeil profond», ressemble plus
qu’étrangement aux états de transe subite et volontaire, bien
connues de la littérature ethnologique relative au chamanisme, la
transe/perte de connaissance étant destinée à aller chercher dans
une «autre dimension», sur un autre «plan de conscience», des
solutions que l’on ne trouve pas à l’aide de la raison, de la
logique, ou de ses cinq sens à l’état de veille.
.
Un autre indice : les chamans Hawaiiens sont traditionnellement
détectés très jeunes, à l’aide d’exercices mettant
pratiquement toujours la recherche d’un objet caché n’importe où
dans l’île. Seul un sens d’orientation inné surdéveloppé du
jeune apprenti-chamane, lui permets alors de retrouver l’objet :
des qualités également incontournables pour un jeune
apprenti-navigateur.
.
Aux îles Cook, de nos jours encore, certaines cérémonies
traditionnelles précédant un voyage en mer, incluent une sorte de
«sweat lodge» polynésienne, où un ou plusieurs membres d’équipage
sont littéralement enfumés à l’aide de plante sacrées, et ce
jusqu’Ã ce qu’ils perdent connaissance.
Un
rituels encore très proches des pratiques chamaniques que l’on
retrouve un peu partout dans le monde, les chamans se lançant à la
quête de «visions» à l’aide de plantes psychotropes, de
fumigation, de «danses de transe», de tambours rythmés, où de
tout autre moyen favorisant la «bascule» des sens vers une «autre
réalité».
.
Et bien d’autres indices encore nous amènent à rapprocher dans
une certaine mesure, le statut de Maître-Navigateurs - celui qui
«parle aux étoiles, aux vents, à l’Océan et aux animaux - , de
celui de Chamane du Pacifique.
L’expédition
MOANA NUI tentera de contribuer à apporter des réponses et éléments
à cette hypothèse.
En tout état de cause, et à l’image de Nainoa Thompson le Maître-Navigateur Hawaiien de la pirogue traditionnel Hokule’a - accueilli ici triomphalement à Hawaii lors de son retour de traversée vers Rapa Nui (l’île de Pâques) - les Maître-Navigateurs jouissent toujours d’une aura, et d’une influence considérable, dans le Pacifique moderne, représentant les valeurs traditionnelles du passé, actualisées et adaptées aux défis du XXIème siècle.
Christophe Mercier - 28.08.2015